titre de l'histoire.
Tu serres ton nounours tellement fort contre ton petit corps que les yeux auraient pu lui sortir de la tête s’ils n’étaient pas simplement cousus. Tu te balances d’avant en arrière en te chantant la berceuse que dont ta mère t’abreuve tous les soirs. Mais tu ne parviens pas à ne pas percevoir les éclats de voix, les cris, le bruit des coups qui pleuvent et des vies qu’on brise. Maman t’a dit de rester là parce que Papa est très très en colère. Encore. Comme toujours. Mais tu voyais les ombres qui se dessinaient sur le sol. Tu entendais ta mère implorée ton père en italien mais lui, il voulait rien entendre. Lui, il continuait à faire pleuvoir les coups. Même quand Maman avait arrêté de bouger, il avait continué un moment, avant de comprendre ce qu’il avait fait : Natalia n’était pas juste évanouie, elle ne reprendrait jamais conscience. Tu avais cru qu’il partirait en courant ou peut-être qu’il pleurerait. Mais il s’était contenté de s’asseoir pour s’allumer une clope, comme si liquider sa femme à coup de n’importe quoi était son sport favori et qu’il avait bien mérité une pause.
Les voisins avaient encore appelé la police, alerté par le bruit. Ils en avaient marre, tu les entendais râler dans le couloir. Aucune compassion, juste de l’ennui et du ras-le-bol. Ton père a enfin pensé à se tirer mais c’était trop tard, les flics étaient déjà là et ils avaient constaté les dégâts. Ils avaient donc embarqué le loustique pour le jeter au trou pour un bout de temps, ils avaient presque failli ne pas remarquer ton petit corps recroquevillé. Il avait fallu que la vieille commère du troisième les informe qu’une petite fille vivait également ici pour qu’ils daignent fouiller l’appartement. On ne t’avait pas laissé voir ta mère une dernière fois. Tu avais eu beau pesté, rué, pleuré, il n’y avait rien à faire. Ton père t’avait arraché la seule personne qui comptait à tes yeux et eux ils t’arrachaient la seule maison que tu n’aies jamais connu. Tu n’avais plus rien.
« C’est un sujet assez délicat mais… Blair a mordu un autre enfant. »Tu étais assise sur une chaise trop grande pour toi, ton ours en peluche sur les genoux. Ton père était exceptionnellement là, avec ta mère, à écouter la directrice dressée les événements qui avaient découlé sur ce malheureux incident. Ce gamin, Trevor, t’avait pris ta peluche et en avait fait un être sans tête. Tu t’étais alors ruée sur le petit garçon puis lui faire payer cet affront. Non contente de le rouer de coup de tes petits poings menus, puisque visiblement, cela ne faisait pas assez mal à ton goût, tu l’avais mordue à belles dents. Quand finalement on avait fini par vous séparer, tu hurlais comme une folle en essayant de recommencer. Ton père soupira et tu baissas la tête en étouffant un sanglot. Tu étais morte de honte à présent. Tu détestais tellement décevoir ton père. Ce n’était pas la première fois qu’une chose pareille se produisait. Tu commençais à être connue pour tes crises de nerf aussi violentes qu’un prévisible, aussi bien à l’école qu’à la maison. Certains commençaient même à croire que tu étais folle, mais ce n’était pas vrai. Tu avais juste cette sensation au creux du ventre, tout le temps. La plupart du temps, c’était comme si elle n’était pas là, mais parfois, quelques fois mémorables, on te mettait en colère et c’est la sensation qui prenait le contrôle total. Puis tu finissais par te calmer, comme vider de toutes tes forces. C’était juste bizarre, c’était comme si tu étais quelqu’un d’autre. Mais tu ne voulais pas être quelqu’un d’autre, tu ne voulais pas être bizarre, tu voulais juste être toi et que Papa soit toujours fier de toi… Les Rutherford t’avait adoptée quelques temps après qu’on t’est mise dans le système, tu n’en gardais qu’un souvenir furtif mais impérissable. Tu ne voulais plus jamais y remettre les pieds et tu t’étais jurée de toujours tout faire pour que tes parents continuent de t’aimer, coûte que coûte.
La tension était palpable autour de la table. Pour changer. Tu ne pouvais pas dire quel avait été votre dernier repas tranquille, sans que le ton ne monte. Mais c’était toujours le cas. Ton père et Wyatt avait le même caractère et s’accrochait toujours pour tout et rien à la fois, Olivia prenait toujours le parti de votre père alors que votre mère ton autre sœur restaient silencieuse. C’était quoi ton rôle à toi ? Temporiser, apaiser, raccommoder. Tu avais l’impression que c’était ta seule fonction dans cette famille, ta seule fonction dans la vie. Le ton montait et tu avais envie de leur hurler de la boucler, d’arrêter de pourrir les rares moments que vous passiez ensembles, de transformer ce qui était un bonheur tout simple en véritable calvaire. Au lieu de ça, ce n’était que des mots d’apaisement qui perlaient de tes lèvres. A croire qu’il n’y avait que pour toi que cette famille avait de l’importance. Qu’il n’y avait que pour toi que le mot famille avait un sens. Tu sentais la noirceur ramper sous la surface mais tu la maitrisais maintenant, tu ne lui lâchais jamais la bride. Certains devaient te trouver étrangement calme mais tu avais tes raisons d’être comme ça.
Tu avais quitté les lieux dès que tu avais pu, limite en courant, tu t’étais enfermée dans le studio de danse que tu fréquentais et tu avais dansé, dansé, dansé jusqu’à ce que tes soucis perlent de ton corps par ta sueur. C’est ce que tu fais quand tu as besoin de te vider la tête, que tu sens que tu vas déborder, que la noirceur garde du terrain. Mais tu as l’impression que tout ça est de moins en moins efficace. Tu soupires, à bout de souffle, étendue sur le sol. Peut-être que t’es vraiment tarée après tout, non ?
Tu avais encore du mal à croire ce que tu avais vu de tes yeux. Cette proximité ton petit ami et ta meilleure amie, cette complicité, ces murmures et puis, sous tes yeux incrédules, à l’écart de la foule, ce baiser, cette étreinte. Tu t’étais sentie… complètement anéantie. Trahie. Creuse. Alors la noirceur avait pris le dessus. Rien d’autre ne comptait plus que de te venger. Frapper fort. Frapper là où ça fait mal. Tu prends une photo puis tu retournes te mêler à la foule assemblée dans la demeure familiale, en proie à l’élaboration d’une vengeance digne de ce nom lorsque cette dernière l’avait abordée. Elle revêtait l’apparence attrayante du père de la vipère qui t’avait trahi. Tiens, tiens, tiens. Quelques plaisanteries plus tard, des frôlements de main, des regards appuyés et voilà qu’il te suivait à l’étage.
Est-ce que les hommes étaient tous aussi faciles ? Tu te prends en photos avec l’homme qui te tourne le dos pour se rhabiller. Voilà pour cette fille avec son complexe sur son père. Tu lui envoies les deux photos avec un message bien salé. Puis d’un coup, tu te sens vide ; la noirceur s’est rétractée et tu as la nausée. Cet homme ne t’intéressait pas, ne t’avait jamais intéressée, ne t’intéresserait jamais. Quand il t’embrassa sur la joue, tu étais prête de vomir. Tu le laissas quitter la pièce alors que tu te ruais sous la douche pour effacer les traces de son passage sur ton corps. Pour te venger, tu venais de torpiller ta relation avec ta meilleure amie en couchant avec son père et tu venais de dilapider ce que tu avais promis à ton petit ami : ta virginité. Sur le coup, ça t’avait paru jouissif. Maintenant tu te sentais juste sale… Plus jamais tu ne laisserais la noirceur gagnée… Jamais.
Tu en avais les larmes aux yeux. Wyatt avait décidé de partir. Il voulait mettre le plus de distance possible entre la famille et lui, quitter la côte est pour rejoindre la côte ouest. Tu ne pouvais pas laisser faire ça. Si tu le laissais partir et que les choses en restaient là, plus jamais vous ne le reverriez, tu en étais sincèrement convaincue et cette idée t’était insupportable. Alors tu avais décidé de te joindre à lui. Tu venais de finir le lycée, il fallait que tu ailles à la fac de toute façon alors tu irais là-bas. Certes, cela voulait dire que tu verrais les autres moins souvent mais tu savais qu’Olivia prendrait bien soin de tout le monde. Et rien ne t’empêcherait de revenir les voir autant que possible, pas vrai ? Ta décision était donc prise. C’était ce qu’il fallait que tu fasses, pour tenter de maintenir cette famille à flot. Personne ne pouvait le faire à part toi. Alors c’est ce que tu ferais.
Une bonne douche et tu pourrais rentrer à ton appartement. La séance de boxe avait été particulièrement intense ce soir mais il fallait bien : tu sentais que tu étais au bord du gouffre. Depuis que tu avais été emménagée ici, maintenir la noirceur avait été de plus en plus compliquée, la tentation très forte. La danse ne suffisait plus, alors tu t’étais mise à la boxe en complément. C’était efficace, pile ce qu’il te fallait pour te canaliser. Tu avais réussi à refaire ta vie ici. Tu avais ta bande de potes. Wyatt était toujours Wyatt, Olivia avait rallié San Francisco et tu bossais sous ses ordres… Bref ta vie commençait à avoir un certain sens. Tu ne savais pas trop ce que l’avenir te réservait, ni ce que tu souhaitais vraiment en faire mais tu savais que cette ville te permettait d’être un peu plus toi-même et c’est tout ce qui comptait à l’heure actuelle.